Expression relativement courante dans le monde équestre, le « coup de sang » peut revêtir plusieurs significations.
Ainsi, le dictionnaire nous apprend : « Coup de sang (prendre le), coup de sang (prendre un) ; coup de sang (donner un) : s'énerver, se mettre en colère ; mettre en colère ». Il s’agit ici d’une forme figurée qui s’applique certainement plus souvent aux humains qu’aux équidés….
En ce qui concerne les chevaux de compétition, cette expression désigne un ensemble de symptômes liés à un trouble musculaire souvent aigu : raideurs musculaires et douleurs d’apparition soudaine, sudation, oedèmes des membres, muqueuses conjonctivales congestionnées,….
On trouve parfois le cheval dans cet état au box, mais la crise peut apparaître pendant l’effort, ou même après l’exercice ou la compétition.
Les symptômes peuvent être plus ou moins sévères. Selon leur sévérité et leurs conditions d’apparition, le vétérinaire pourra employer les termes de « maladie du lundi », de « myosite», de « syndrome d’azoturie », de « tying-up », de « rhabdomyolyse » ou encore de « myoglobinurie paroxystique », voire de « fourbure » si des signes plus graves apparaissent.
En tout état de cause, toutes ces appellations ramènent à une anomalie du fonctionnement musculaire : une myopathie.
Cet exposé tente de décrire ce phénomène complexe et d’expression très variable suivant le plan suivant :
v Données physiologiques :
v Processus pathologique :
v Attitudes à adopter :
v Prévention :
Quelques données physiologiques :
Le muscle est constitué par un ensemble de fibres musculaires, délimitées et orientées par du tissu conjonctif. Chaque fibre musculaire est constituée d'unités répétitives microscopiques.
L'unité répétitive est appelée le sarcomère :
Ces protéines contractiles, pendant leur travail, trouvent leur énergie dans l'ATP (Adénosine Triphosphate), qu'elles dégradent en ADP (Adénosine Diphosphate), par action enzymatique.
Pendant la contraction musculaire, l'ATP doit être reconstitué.
Pour que ces réactions se produisent, il faut de l'énergie, apportée par la dégradation des stocks de substrats présents dans l'organisme : les hydrates de Carbone sous forme de Glycogène, les acides gras sous forme de Triglycérides, et les protéines métabolisées selon des processus complexes.
Cet apport d'énergie est assuré par trois processus principaux qui se succèdent au cours d'un effort musculaire.
Par coloration artificielle, on peut identifier avec certitude quatre types de fibres musculairessquelettiques, les types 1, 2a 2b et 2c.
Les fibres de type 1 sont des fibres rouges, capables d'action soutenue, riches en enzymes oxydatifs ; Elles sont dites rouges, car elles sont riches en myoglobine, qui sert à transporter l’oxygène dans le muscle : c’ est une protéine voisine de l’hémoglobine, qui , elle , sert à transporter l’oxygène dans le sang.
Les fibres 2b sont des fibres blanches à équipement enzymatiques appartenant surtout aux processus anaérobies : elles sont capables d'action soudaine et rapide. Ce sont elles qui permettent au cheval des changements de rythme pendant le parcours.
Les fibres 2a et 2c sont des intermédiaires.
L'entraînement et la génétique peuvent changer la proportion de ces fibres dans les muscles.
Plus la distance à parcourir est courte, plus la part des processus anaérobies dans l'apport énergétique est prépondérante, et vice versa.
Le processus pathologique
Le phénomène commence en réalité au niveau microscopique du sarcomère, cette unité cellulaire contractile de la fibre musculaire.
Cette unité est fonctionnelle dans des conditions spécifiques :
Ces données physiologiques « microscopiques » permettent de mieux comprendre les processus pathologiques qui vont être exprimés par les symptômes du « coup de sang ».
C’est en réalité la « mise hors-service » concomitante d’un grand nombre de fibres musculaires, dans les muscles qui va déclencher les réactions inflammatoires et douloureuses et retentir sur le métabolisme général.
Même si on a bien compris qu’il existe toute une série de conditions prédisposantes, l’élément déclenchant principal est bel et bien la baisse du pH musculaire, due à l’accumulation d’acide lactique.
Cette accumulation d’acide lactique musculaire est due :
Bien entendu, toute situation pathologique, qu’elle soit virale, bactérienne ou non-biologique, qui affecterait les grands équilibres métaboliques, engendrerait les mêmes effets désastreux sur le fonctionnement musculaire.
La baisse du pH provoque une souffrance des cellules musculaires qui va mettre en route des phénomènes inflammatoires et/ou de nécrose des fibres musculaires, en particulier des fibres de type II, dont on a vu qu’elles étaient plus spécialisées dans les efforts brefs, anaérobies, et donc plus riches en glycogène.
L’inflammation entraîne normalement calor (chaleur), rubor (rougissement), tumor (gonflement) et dolor (douleur) : c’est bien ce qui se produit dans les zones musculaires lésées.
Si la baisse de pH est transitoire et de faible intensité, la situation pourra s’améliorer rapidement, mais très souvent, les phénomènes inflammatoires et nécrotiques peuvent donner lieu à des dégénérescences irréversibles des protéines musculaires qui vont perdre leurs propriétés contractiles. C’est pourquoi un cheval qui a « fait un coup de sang » doit toujours être considéré comme un récidiviste en puissance, parce que l’intégrité musculaire a été mise à mal.
Les cellules musculaires lésées vont laisser échapper dans le sang des enzymes et de la myoglobine, dont le dosage pourra servir de paramètre pour mesurer l’importance des lésions :
La concentration importante de myoglobine dans les urines indique aussi -et surtout- un mauvais pronostic des répercussions du coup de sang, parce qu’elle va endommager sérieusement la fonction de filtration des reins, ce qui peut induire une insuffisance rénale aiguë ou subaiguë. Cette insuffisance rénale peut même être suffisamment grave pour entraîner la mort du cheval dans certains cas.
D’autres paramètres d’analyse biologique sont pris en compte pour déterminer la gravité des troubles. La fonction hépatique sera examinée par les taux de bilirubine et d’enzymes plus spécifiques (γGT, PAL). La fonction rénale sera bien explorée par le dosage de l’urée et de la créatinine, paramètres très constants chez le cheval.
Tous ces paramètres de biologie clinique sont interdépendants et peuvent indiquer différentes situations pathologiques. D’autres valeurs hématologiques ou biochimiques sont utilisées par le vétérinaire pour préciser tant le diagnostic que le pronostic.
En effet, ces troubles musculaires ont un retentissement important sur l’ensemble de l’organisme et des grands systèmes :
En résumé :
Dysfonctionnement de la contraction musculaire > dégénérescence des protéines contractiles
V
Lésions des fibres musculaires > douleur et contracture musculaire, acide lactique en excès, déchets cellulaires
V
Coup de sang > perturbation générale
Attitude à prendre
La raideur est habituellement le premier signe à apparaître ; on peut trouver le cheval ainsi au box le lendemain d’un exercice intense ; ou bien au début de l’exercice, le cheval se met à raccourcir sa foulée ; la crise peut aussi survenir après l’exercice.
Bientôt apparaissent une sudation plus ou moins profuse et des manifestations douloureuses, en particulier au niveau des muscles de l'arrière-train. La respiration est perturbée et les muqueuses sont congestionnées.
C’est le signe que les muscles se contracturent et que l’acidité s’installe.
A ce moment, il est capital d’arrêter et d’immobiliser le cheval pour éviter que les fibres musculaires contractées se déchirent, puisque elles ont perdu -temporairement du moins- leurs propriétés contractiles et élastiques.
Afin de stimuler la circulation périphérique, on peut le masser doucement, éventuellement à l’aide d’une embrocation, et le couvrir afin qu’il ne prenne pas froid.
Si on est éloigné de l’écurie, le mieux est d’aller chercher un van pour le ramener dans un boxbien abrité, en le déplaçant aussi peu et aussi doucement que possible.
Il convient d’appeler immédiatement le vétérinaire qui examinera le cheval, demandera des tests biologiques et lui administrera les traitements adéquats qui viseront :
Le vieux remède de la saignée se justifie, car elle stimule la soif et permet la dilution des acides et déchets parce que le cheval boit spontanément.
Pendant les jours suivants, il conviendra de garder le cheval à la diète, en lui distribuant seulement du fourrage. Le retour à une alimentation habituelle et au travail se fera après retour à la normale de sa souplesse et des paramètres biologiques.
Dans certains cas, ce délai de convalescence peut être assez long : des semaines, voire des mois. En tout cas, il vaut mieux attendre un peu plus longtemps et revenir progressivement que reprendre trop tôt.
Un cheval qui a fait un coup de sang un jour est toujours un récidiviste en puissance et pour ceux là plus encore que pour les autres, la prévention s’impose.
Il faut aussi se méfier des chevaux qui présentent des symptômes légers, mais régulièrement: l’accumulation des lésions diminuera leur potentiel et pourra conduire à une crise plus grave.
Prévention
On voit bien qu’un coup de sang peut prendre une tournure assez grave, voire mortelle.
Sans en arriver à cette extrémité, il est réel que les troubles musculaires légers sont une des causes parmi les plus fréquentes de ce qu’on appelle «l’intolérance à l’effort ».
Ce sont les circonstances et les sensibilités individuelles qui détermineront la gravité des symptômes.
Il faut éventuellement aussi tenir compte d’une prédisposition génétique et ce sera l’art de l’éleveur d’éviter les « mariages » à risques, même s’il peut s’avérer que, comme dans la compétition automobile, les « moteurs » les plus fragiles soient aussi les plus performants, ou vice-versa.
En tout état de cause, une bonne surveillance et des mesures hygiéniques préventivespermettent d’éviter que de tels incidents se produisent.
Ces mesures concernent l’alimentation et l’entraînement :
Mesures alimentaires :
L’alimentation est très importante, tant à l’élevage qu’à l’entraînement. Chaque écurie a sa propre « recette », utilise des aliments de différentes marques et des fourrages de différentes provenances. Cependant des grands principes doivent être respectés :
Mesures d’entraînement :
Dès le plus jeune âge du cheval de compétition, l’objectif doit être d’éviter tout incident musculaire qui entamera son potentiel. C’est pourquoi il est impératif de ne pas « forcer » les jeunes chevaux, sous peine de diminuer la longévité de leur carrière.
Pour les chevaux plus âgés aussi, ou pour les sujets à risques, quelques grands principes -de bon sens- doivent être respectés :
Conclusion
Un « coup de sang », qu’il soit léger ou sévère, est toujours grave pour un cheval de compétition car il entame, peu ou prou, le potentiel athlétique et les facultés de récupération.
De plus il peut être le signe annonciateur de beaucoup d’autres problèmes !
Mieux vaut l’éviter !